« UN SUICIDE D’éLèVE, MA HANTISE » : LA PROCéDURE CONTRE LE HARCèLEMENT SCOLAIRE EST-ELLE EFFICACE ?

La mort de Lindsay, une collégienne de 13 ans qui a mis fin à ses jours le 12 mai après avoir été harcelée sur les réseaux sociaux, a remis en lumière la question sensible du harcèlement scolaire. En 2022, le gouvernement a rendu obligatoire un programme de lutte contre le harcèlement, intitulé « pHARe ». Pour quel résultat ? Des personnels de l’Éducation nationale témoignent.

Les suicides de Lucas, 13 ans, et Ambre, 11 ans, avaient déjà créé l’émoi en début d’année scolaire. Plus récemment, la mort de Lindsay – une collégienne de 13 ans qui a mis fin à ses jours le 12 mai – a remis en lumière la question sensible du harcèlement scolaire.

En déposant quatre plaintes pour « non-assistance à personne en péril », dont deux contre l’académie de Lille et la direction du collège de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), la famille de Lindsay a estimé que les autorités compétentes avaient failli pour protéger l’adolescente. « Si chacun avait fait son travail pour la protéger, elle serait vivante », a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse, jeudi 1er juin. Quelques heures plus tard, sur BFM TV, le ministre de l’Éducation Pap Ndiaye a déploré « un échec collectif ».

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D’après le rectorat, dans cette affaire, une « première situation de harcèlement » avait été signalée, « traitée par l’établissement ». Des sanctions avaient été prises et un élève avait quitté le collège. Mais les proches de Lindsay ont accusé les autorités scolaires et la police d’avoir minimisé le harcèlement en ligne subi par la jeune fille et plusieurs de ses amies.

Un élève sur dix victime de harcèlement

Selon les estimations l’Éducation nationale, un enfant sur dix en est victime. Comment gouvernement tente-t-il de lutter efficacement contre ce fléau ? Depuis 2019, un dispositif de prévention, le programme de lutte contre le harcèlement à l’école (pHARe), a été testé puis progressivement étendu. Aujourd’hui, le dispositif est intégré dans 64 % des écoles et 91 % des collèges, selon le ministère, et doit être étendu aux lycées.

En quoi consiste-t-il ? Chaque établissement s’engage à former une équipe de plusieurs membres du personnel. Leurs missions : repérer les élèves qui s’isolent, traiter les conflits grâce à la « méthode de préoccupation partagée ». « Ces adultes vont conduire des entretiens avec la victime, le ou les harceleurs, et on prévient la famille. La procédure dure quinze jours, jusqu’à la résolution de la situation. La plupart du temps, on est sur des actes d’intimidation », décrypte Layla Ben Chikh, principale d’un collège de l’académie de Nice qui gère « une trentaine de cas chaque année, ce qui est important ». « Il n’y a pas de sanction à l’encontre des intimidateurs, comme on les nomme aussi, ajoute celle qui est membre du Snpden-Unsa, le syndicat majoritaire des personnels de direction. Le but est d’agir sur l’empathie chez l’élève, pour qu’il soit un acteur de la solution. »

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Dans les classes, des élèves ambassadeurs volontaires sont également les yeux et les oreilles des conseillers principaux d’éducation (CPE), raconte Jeanne (prénom modifié), qui occupe ce poste depuis quelques années dans un collège de Loire-Atlantique. « Le suicide d’un collégien, c’est ma hantise, confie celle qui a suivi deux jours d’une formation consacrée au harcèlement cette année. Ces élèves nous aident à repérer les cas. Car sans alerte des parents ou des victimes… On ne peut pas tout voir. »

« On manque de psychologues scolaires »

La méthode de préoccupation partagée est-elle efficace à ses yeux ? Tout dépend du profil de l’élève, répond Jeanne : « Certains se rendent compte de leurs actes et se remettent en questions. Pour d’autres, il faut passer par les sanctions. » « Elle a fait ses preuves, même si l’Éducation nationale multiplie les protocoles, qui changent en fonction du ministre, de l’actualité, commente Laurence Hopp, également CPE dans un lycée de l’académie de Strasbourg et déléguée SE-UNSA. Même si aucune méthode n’est infaillible.   Sans la coopération du harceleur, c’est compliqué. Le problème n’est pas méthodique, mais est dû à un manque de moyens humains. On manque de psychologues scolaires, qui sont les plus compétents pour régler ces problèmes. »

En cas de faits graves, notamment de cyberharcèlement, le chef d’établissement peut décider d’engager une procédure disciplinaire, pouvant aller jusqu’à l’exclusion de l’élève. « Si c’est extrêmement grave, le rectorat et le procureur de la république sont saisis, ajoute Layla Ben Chikh, la principale qui a récemment exclu un élève. On encourage les familles à déposer plainte. »

Des numéros d’urgence existent

Depuis le 2 mars 2022, le harcèlement scolaire est un délit spécifique, dont la peine peut aller jusqu’à dix ans de prison et 150 000 € d’amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime. Une sanction « disproportionnée », estime Laurence Hopp, du SE-UNSA : « Le harceleur, c’est aussi un enfant ou un jeune en souffrance. D’ailleurs, exclure ces élèves sans leur offrir une prise en charge par la suite, ainsi qu’à leur famille, qui est parfois dépassée par la situation, c’est déplacer le problème. »

 « Cela fonctionnera seulement si les familles s’impliquent, estime de son côté Layla Ben Chikh, la principale de collège. Il faut que tout le monde soit sensibilisé à la question du harcèlement scolaire. »

En cas de besoin, des numéros d’aide d’urgence existent : le 30 20 pour les familles et victimes, le 30 18 pour les cas spécifiques de cyberharcèlement, et le 31 14 pour la prévention du suicide. Ce dernier numéro sera d’ailleurs inscrit dans les carnets de correspondance des collégiens et lycéens à partir de septembre.

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